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Potrerillos (Argentine) // Santiago du Chili (Chili) // Buenos Aires (Argentine)

Cette haute culotte chic et élancée est rapidement devenue un symbole. L'inscription "Para noches de orgia" - "Pour des nuits d'orgie" - qui l'accompagne n'est qu'une manière d'éclaircir le message. Mais quels sont les dessous de cette lingerie ? Une injonction à vivre la fin de notre voyage comme si nous étions au coeur du Montmartre caliente de la Belle Époque. Comme si c'était tous les soirs "French cancan party". Il faudra s'encanailler dans les vieux bistrots de Buenos Aires, pédaler au plus près des aplats de couleurs déposés sur les Andes, s'enivrer des odeurs printanières de l'hémisphère sud, danser la cueca chilena le foulard à la main avec Mistinguett (en arrière-plan ?) puis s'effondrer d'une belle fatigue et s'endormir face à l'océan Pacifique. Profiter, profiter au mieux, car le temps joue contre nous. À vos marques, prêts, pouët pouët.

Nous quittons Mendoza un peu fébriles puisque nous projetons de remonter sur les épaules de la "patronne" : la cordillère des Andes.

Pourquoi la patronne ? Pour plusieurs raisons. Nous l'avons parcourue durant quatre des cinq mois passés en Amérique du Sud. Souvent très dure avec nous, bien que toujours loyale, elle imposait la patience devant sa sévérité. Mais nos efforts étaient récompensés. Alors que l'on subissait ses humeurs, on admirait du haut de notre petitesse, ses traits autoritaires, ses rides profondes et belles, sa force volcanique, le souffle tempétueux de sa colère, et puis, les infinies nuances de sa peau. On l'aime, la cordillère. Bienveillante, elle a déshabillé notre orgueil pour en rire tandis que nos roues laissaient d'infimes traces sur son épiderme. Elle nous a remis les idées en place la patronne. Elle nous manquera.

Pour rejoindre la frontière chilienne nous empruntons la très belle route 7 qui traverse les vignes puis décolle vers les sommets enneigés où les stations de ski reposent désormais dans l'épaisseur du silence. La saison est finie, le printemps est là, la neige s'en va.

Avant le passage de frontière situé au col de Los Libertadores, nous faisons un stop devant le plus haut sommet des Andes, l'Acongagua (6960 m) - ci-dessous en arrière-plan avec un chapeau blanc sur la tête.

Pour fêter ça, on décide de danser comme les chanteurs du groupe O-Zone, parce qu'on les aime beaucoup, et que leur danse n'est pas trop technique. En réponse, la montagne nous envoie un vent glacial dans la tronche. La nature n'aime pas le groupe O-Zone ? La nature a horreur du vide ?

Du col de Los Libertadores à Valparaiso il y a environ 200 kilomètres.

Avec la précision de Dominique Chapatte, nous engageons nos machines dans les épingles à cheveux, à chaque sortie de courbe on laisse exploser la puissance mutante de nos jambes, les pneus crissent, le boîtier de pédalier résiste mal aux épouvantables assauts des mollets, la chaîne est écoeurée des watts qu'on lui inflige, les kilomètres tombent les uns après les autres, Christopher Froome est en nous, c'est monstrueux.

Cessons de rêver immédiatement.

Du col de Los Libertadores à Valparaiso il y a environ 200 kilomètres... de descente.

"Nous rêvions de monter, mais nous descendions." Chef de cabinet de François Hollande.

Alors même que nous descendions de jolis virages, on s'imaginait grimper comme des champions. Le syndrome Hollande nous a rattrapés.

Reprenons donc. Lors de cette longue dégringolade jusqu'à l'océan, on a le plaisir de bivouaquer dans un somptueux alpage juste à côté d'une rivière, bref, ça jette un max ! - (petite précision, l'expression "ça jette un max" date du 14 juin 1986). Le lendemain, la descente se poursuit parmi les mimosas, les poivriers sauvages, les citronniers, les rhododendrons, les broméliacées et autres impatiens, bref, ça passe crème - (l'expression "ça passe crème" date du 3 mars 2014).

Nous rejoignons l'océan à Concón sur la côte Pacifique.

"Con quoi ?

- Concón, si si, Concón." Voilà voilà.

Nous poursuivons jusqu'à Valparaiso où nous sommes très heureux de retrouver Céline et Côme, un couple d'amis installé au Chili. Ce soir-là, c'est la fête nationale du pays et on ne s'est pas loupés. Nous avons fait la connaissance du terremoto (tremblement de terre), cocktail à base de pipeño (vin blanc), pisco, grenadine et sorbet ananas. Ça a "matché" tout de suite, et nous avons littéralement fusionné avec ce produit jusqu'à ce que, évidemment, le sol se dérobe. Superbe soirée, superbe gueule de bois.

On quitte les très belles fresques murales de Valparaiso pour le sud en gardant un oeil sur l'océan. Très rapidement la pinède nous recouvre, la route est splennndiiide et le soir nous plantons la tente avec cette vue-là, précisément. "Dis, on reste ici."

Nous poursuivons jusqu'à Isla Negra, l'une des maisons du poète Pablo Neruda, plantée dans le sable face aux vagues australes. Même qu'il collectionnait des bouteilles trop stylées, t'as vu.

L'étau se resserre, nous passons nos dernières nuits sous la tente avant de rejoindre Santiago, ça sent la fin, on mange quelques gélules de Prozac devant notre réchaud puis on se regarde avec un grand sourire alors que les larmes coulent. Grosse ambiance.

À Santiago du Chili, nous retrouvons Céline et Côme qui nous arrachent à la mélancolie en nous faisant profiter des atouts de cette ville super dynamique. Nous avons également le plaisir de croiser Lætitia et JB également installés dans la capitale chilienne. L'occasion de discuter des avantages et des inconvénients d'un pays ayant pris sous la dictature Pinochet le pli d'une économie néolibérale à la sauce École de Chicago. Une sauce piquante.

Ça donne une nation très inégalitaire dans un pays globalement riche au PIB parmi les plus élevés du sous-continent américain. Un pays contrasté quoi. Bon d'accord, ça ne veut rien dire "contrasté".

Revenons à Santiago. Dans cette capitale, on a eu un peu le même feeling que Franck Ribéry lorsqu'il va au Touquet :

"Le Touquet, c'est une ville que j'aime bien venir. (...) C'est une ville qu'il y a des bonnes choses à faire."

La suite, c'est un trajet de 24 h en bus de Santiago du Chili à Buenos Aires où notre vol retour est programmé.

Dans la cité du tango nous retrouvons Alex, Maria-Laura et Arnaud qui nous font savourer nos derniers jours en Amérique du Sud. On s'envoie les derniers filets de boeuf, boudins, chorizos dans la paillasse.

"De toute façon, nous, tu vois, on est flexitariens, tu vois..." Vraiment indigeste ce mot : flexitarien. Ça veut dire que t'es végétarien mais que tu manges quand même de la viande. Ça veut dire que t'es un peu perdu.

Économie, youpi !

Imaginons un collègue, demain, à la pause déjeuner, le regard autoritaire, qui pose la question : "Et sinon tu penses quoi de la situation économique en Argentine ?"

Pas du tout surpris de sa question, tu réponds avec l'assurance de Jean-François Copé (à qui l'on pense chaleureusement) : "Tu sais, plusieurs choses m'attristent en Argentine. Buenos Aires ou "Bons Airs" en bon français, concentre sur 1 % du territoire 75 % de la richesse du pays, est-ce normal ? Je ne pense pas. D'autre part, en 2014, l'économie argentine est entrée en récession, le taux d'inflation y atteint 35 % par an ce qui a pour conséquence un pouvoir d'achat en chute libre, doit-on s'en offusquer ? Je pense que oui."

Après une réponse pareille tu te sens super puissant mais t'es au max de tes capacités, tu ne peux pas aller plus loin.

Malheureusement le collègue insiste : "Ah oui, et tu peux m'expliquer un peu pourquoi ?"

Et là, sûr de toi, ta réponse consiste à fuir en courant.

Tournons l'inquiétante et complexe page économique de la troisième puissance d'Amérique du Sud.

En se baladant, nous découvrons quelques chouettes endroits de cette métropole tentaculaire où l'on se sent un peu à Paris, Londres, New York, Madrid et Naples - rien que ça. Entre autres, le quartier historique San Telmo où antiquaires, galeries d'art et vieux cafés alimentent un joli esprit fin XIXe. T'es où Misstinguett ?

On ne peut s'empêcher de faire une dernière escapade de quatre jours à vélo. Direction la pampa argentine où nous allons à la rencontre de la culture gaucho d'une estancia. Petites explications. La pampa est le nom donné aux immenses plaines argentines recouvertes de hautes herbes grasses. Le gaucho est un cavalier, solitaire, gardien des troupeaux, au teint souvent mat, vivant au jour le jour, il incarne l'indépendance et la liberté d'une vie sans confort. L'estancia est une grande ferme argentine se consacrant à l'élevage de bovins et d'ovins. Le chili con carne est un plat épicé mexicain avec de la viande et des haricots mais ça n'a vraiment rien à voir avec ce qui précède, c'est donc totalement inutile.

Donc de façon un peu gauche on a fait nos gauchos et ça a donné ça. "Oh oh oh, on se gausse."

Un grand merci à Milena pour ce magnifique séjour chez elle, à La segunda, près de San Antonio de Areco.

Nous passons les derniers jours à Buenos Aires toujours accompagnés de nos amis, on a du mal à réaliser que tout ça se termine, il faut emballer les vélos, monter dans l'avion, les souvenirs nous bombardent, on se protège derrière les cartons de Durga et Bombers.

Bruxelles, l'automne, la pluie, le vent, le spleen.

Heureusement, une fois de plus, les amis nous remontent le moral. Nous passons une excellente soirée chez Élise et Florent avec de bonnes frites fraîches et des joues de boeuf tendres. Notre dernière étape a lieu dans une ville que l'on adore, Gand. Cette agglomération envahie par les vélos constitue notre tapis rouge. C'est si réjouissant et si rare de voir le bon sens prendre possession d'une ville dans sa quasi-globalité.

Sans l'avoir planifiée ni même espérée, nous passons la soirée dans un atelier de vélo où un buffet végétarien - issu des invendus des supermarchés environnants - est mis à disposition des usagers du lieu contre un prix libre. Pendant que quelques personnes se penchent sur les avaries d'une jante de bicyclette, nous mangeons et discutons avec les cyclistes flamand(e)s. "Quelle belle soirée" se serait exclamé notre Michou national. L'un de nos voisins de table, habitué des randonnées à vélo, et pour faire suite à quelques anecdotes de notre voyage, nous affirme avec une évidence toute naturelle : "c'est parti". Oui, "c'est parti", la randonnée à vélo fait désormais partie de nos pratiques, de nos envies, de nos projets.

Pour la dernière soirée de ce voyage, nous ne pouvions rêver mieux.

Le lendemain, avant de quitter cette auberge de jeunesse où les chambres sont des caravanes, ce panneau The End vient parader pour que nous le prenions en photo. Alors voilà c'est fini, mais au fond, et nous le savons, ça commence, ou plus exactement, et pour reprendre notre copain de tablée : "c'est parti".

Merci à tous ceux qui nous ont suivis, nourris, souris, aidés, encouragés, hébergés, accompagnés, informés, protégés, emmenés, avec cependant un petit bémol pour le coiffeur argentin bourré qui a complètement foiré la coupe de Claire, pour le paysan péruvien grâce à qui nous avons roulé des heures de nuit parmi les meutes de chiens, pour le mec bourré (décidément) du Laos ayant pris par erreur mes sandales à l'entrée d'un restau et que tu retrouves (par chance), tranquille, le lendemain, "ah mais ce sont les vôtres, mais je me disais aussi...", pour le Vietnamien qui a quand même un sérieux problème de voix et qui s'obstine à faire du karaoké, pour la Bolivienne qui nous jette du maïs à la tronche parce qu'on la regarde, pour le batelier cambodgien qui nous promet une belle croisière entre Angkor et Battambang sur une rivière asséchée, pour le vendeur indien si souriant qui nous assure vendre des boucles d'oreilles en argent "top-quality" mais qui noircissent un peu beaucoup quand même, pour le cuisinier thaïlandais qui m'a fait vachement vomir, pour le douanier chilien qui ne peut pas lâcher sa série tv deux secondes pour tamponner un passeport, pour le Malais qui fait fondre ses clients en trouvant le moyen de les faire dormir sur draps synthétiques dans des chambres à plus de 40 °C, bref, pour ces personnes - très minoritaires - à qui tu en veux sur le moment mais que t'aimerais au fond revoir dès demain "parce que vas-y c'était trop cool aussi".

La phrase la plus longue et indigeste du blog est derrière vous, ouf, on range les bécanes, on vous remercie encore et on vous embrasse fort.

À bientôt.

Les socquettes légères // Claire & Julien


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