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Uyuni - San Pedro de Atacama (Sud Lipez) // Bolivie

  • Les socquettes légères
  • 9 sept. 2016
  • 10 min de lecture

Si OSS 117 avait mis les pieds en Bolivie, il aurait déclaré son amour au Sud Lipez de la façon suivante : "C'est l'inexpugnable arrogance de votre beauté qui m'asperge". Posé entre 4100 m et 4900 m d'altitude, ce désert volcanique s'étend sur quelques centaines de kilomètres avec une majesté incomparable. Mais la beauté de la nature ne cache-t-elle pas sa cruauté ? Vous avez quatre heures.

Est-ce que les cadavres de cyclo-randonneurs jonchant le sol bigarré et les débris de vélo venant briser l'harmonie du sable sont des indices d'hostilité ?

Non, bien sûr, le Sud Lipez n'est pas le triangle des Bermudes des vagabonds à vélo. Sa traversée est loin d'être un exploit mais reste considérée comme un défi à part entière. L'altitude, les températures, les vents, les pistes n'y sont pas particulièrement hospitaliers. Mais surtout, c'est un incroyable musée à ciel ouvert, où la Pachamama (Terre-Mère) engendre des lignes et des teintes qui nous ont grave aspergés.

Nous avons dix jours et pas un de plus pour atteindre San Pedro de Atacama au Chili depuis Uyuni. En effet, Claire a un entretien professionnel fixé à la date du 2 août. Voilà pour la contrainte de temps.

Par ailleurs, on se donne quatre jours pour rejoindre le Sud Lipez proprement dit, c'est-à-dire la piste suivant l'axe nord-sud qui s'enfonce dans le désert entre volcans et lagunes. Avant cela, nous aurons à mettre le cap au sud-ouest.

Jour 1 - samedi 23 juillet - Uyuni // Ramaditas

Vers 10 h, on chevauche Durga et Bombers - vous ne connaissiez pas les noms de nos bécanes ? - en direction de la RN 5. La piste de terre sèche est bien amicale. Les 50 km de la journée passent vite, ça tape un peu, le vent est timide, la vitesse est bonne, le moral est bon. On parle "bouffe" sur le vélo - comme souvent -, tout roule. Vers 16 h 30, nous débarquons à Ramaditas, un village engourdi, sans vie, où les constructions en pisé affichent un vernis doré. Assez rapidement, nous trouvons une chambre chez une famille sympathique où l’on se sent très grand. On fait péter la popote alors que la nuit glaciale noircit le pâté de maisons.

Jour 2 - dimanche 24 juillet - Ramaditas // San Cristobal

Vers 9 h 30 nous claquons des dents pour les premiers tours de chaîne. On s'arrête très fréquemment pour se réchauffer les mains et les pieds. L'air glacé pétrifie nos orteils, les phalanges grincent, le froid traverse tout, les paires de chaussettes, les gants, la peau, les os. Midi, les mouvements répétés nous réchauffent enfin, on peut brûler le sentier jusqu'à San Cristobal et passer la ligne d’arrivée comme Marc Cavendish.

Jour 3 - lundi 25 juillet - San Cristobal // Alota

Les choses sérieuses commencent. Dès le réveil, le vent d'ouest siffle. On n’est pas à l’abri d’une journée de merde. Le coupe-vent est notre ami. Sur la bécane, ça vient du côté droit ou en pleine face, il s'agit de tenir le guidon avec fermeté. Pas toujours suffisant. À deux reprises, des rafales effrayantes et imprévisibles nous déportent à 90° de notre ligne de progression. On se sent un peu faible.

Lorsque le souffle est constant, il faut pencher le biclou pour tenir tête à la poussée. Impossible de discuter, ça claque de partout, on se réfugie dans nos capuches maltraitées, le champ de vision en berne. Le vent est l'ennemi de la bonne humeur. Le compteur semble bloqué, les kilomètres s'allongent, le temps s'égrène lentement autour du pédalier, on n’avance pas. Nerveusement et physiquement, ça ronge. On s'engueule. Longtemps. Et on repart, réconciliés, alors que le jour se retire derrière une ligne d'horizon découpée par d'immenses sommets. Nous arrivons à Alota dans la nuit, le vent s'éteint à ce moment-là - charogne.

Jour 4 - mardi 26 juillet - Alota // Cerro Chuhuilla

En quittant Alota nous savons que nous ne reverrons plus de village bolivien, le désert nous attend. On oriente nos guidons vers la vallée des Rochers à une trentaine de kilomètres vers l’ouest. Rapidement, les blocs volcaniques transforment la piste en galerie d’art. Rapaces, félins, amphibiens, visages, chimères, expressions corporelles, reliefs ciselés en tout genre, du fantastique partout, on se croirait dans une BD de Moebius. Nous poussons jusqu’à la laguna Negra puis empruntons une piste totalement défoncée avec l’espoir fou d’atteindre la laguna Hedionda située à 32 km. Une heure passe, trois kilomètres s’ajoutent et l’espoir s’écroule. On perd une journée sur notre programme. Va falloir camper.

À 4500 m d’altitude, en plein hiver austral, nous savons que les températures peuvent chuter à -20°C voire plus. C’est la fête. Et « chantent les sardines, chantent les sardines » ; on dresse la tente dans un petit canyon peu éventé. Notre duvet synthétique nous promet du confort jusqu’à 5°C. Il est mignon, mais c’est tout.

Il faut le muscler.

Collants, pantalon, chaussettes coton et laine, t-shirt chaud, pull, polaire, doudoune, coupe-vent, gants, bonnet, passe-montagne, bref, opération grand froid. On se glisse ensuite dans le sac à viande, puis on s’enroule dans un plaid et, enfin, on s’engouffre dans le duvet confort 5°C. Ça devrait le faire. Nous cuisinons dans le auvent, et dînons dans la tente. Bonne nuit. Il est 20 h…

Jour 5 – mercredi 27 juillet – Cerro Chuhuilla // Laguna Hedionda

Finalement, la nuit fut « clémente », -13°C à l’extérieur, -6°C dans la tente. Petit déj sous la toile et insultes envers le soleil qui ne chauffe pas suffisamment. Très lentement – le froid ralentit tout – nous rangeons notre campement.

« On fait quoi aujourd’hui ?

- Ça te branche de faire 28 bornes sur une piste labourée où tu n’auras pas une foutue seconde pour reposer ton dos ?

- Oh, oui, oui, oui !

- En route mauvaise troupe ! »

Dès les premiers mètres, à 10 h 30, les roues sautent, les pneus se tordent, craquent, glissent dans cet immondice de caillasse parfaitement disposée pour massacrer tout optimisme. Le sentier nous empoigne violemment, nous traîne dans cet insupportable vent d’ouest, nous projette au-delà de lignes d’horizon toujours plus éloignées et hautes, et nous lâche, épuisés, sur les rives de la laguna Hedionda. Ici, nous rejoignons enfin l’axe nord-sud du Sud Lipez, celui qui traverse les fantastiques paysages, les flamands roses en comité d’accueil.

Jour 6 – jeudi 28 juillet – Laguna Hedionda // Hôtel del desierto

Nous passons la nuit dans un refuge où nous profitons d’un petit déjeuner gratuit – les restes des groupes en excursion - et de nombreux encouragements de la part des touristes. Sentiment agréable après ces semaines passées seuls sur les pistes.

On enquille sur un début de journée tout en douceur, sur les pourtours des lagunes Cañapa et Honda, sans aucun vent, sur une terre salée et compacte. Conditions idéales pour lever les yeux dans le pourpre des sommets, les courbes blondes, les éclats verdâtres et le bleu originel du ciel qui vient emprisonner l’ensemble. On comprend pourquoi on est là.

C’est dans ce cadre que nous croisons Marie, Alicia et sa famille à la découverte du Sud Lipez en 4x4. Alicia et Marie sont deux cyclo lilloises sillonnant l’Amérique du Sud. Elles font partie de l’association Micro-crédit Macro-action (MCMA) chargée de soutenir la création d’entreprises à travers le microcrédit solidaire. Les croiser au cœur du Sud Lipez, improbable, et génial !

Nous reprenons notre route plein d’enthousiasme et d’énergie. Il en faut. La matinée était belle, l’après-midi sera pénible. De nouveau, le désert nous crache son haleine en pleine figure.

Sous les pneus, tout s’effondre, impossible de tenir un cap rigoureusement, putain de sol qui s’échappe dès qu’on le caresse, le fourbe. On s’épuise à avancer dans ces tranchées sablonneuses. Le murmure de notre progression vibre comme une glissade non maîtrisée. À 18 h 30, 10 h de bécane plus loin, nous arrivons avec les cernes de « feu » Philippe Séguin.

Et le paysage dans tout ça. Cf. ci-dessous.

Alors qu’aucun rendez-vous n’était prévu, nous retrouvons Marie, Alicia et sa famille s’apprêtant à passer la nuit à une centaine de mètres de notre refuge. Ils nous invitent à dîner, on se pince, et on enchaîne sur une soirée magique !

Jour 7 – vendredi 29 juillet – Hôtel del desierto // Laguna Colorada

8 h, on active la catalyse quantique, on déclenche la fusion nucléaire, on libère les quarks, Durga et Bombers regardent la piste droit dans les yeux et lui disent - en citant Schwarzy dans Predator - : « t’as pas une gueule de porte-bonheur ». .

Pas faux. Le gravier prend une teinte rouillée, l’adhérence n’est plus, on pousse. 5 km à traîner 45 kg, « la rigolade s’organise ». La terre s’éclaircit, ça colle de nouveau, on avance. Place au washboard ou l’effet « tôle ondulée » créé par le passage répété de véhicules. En bref, un phénomène physique totalement merdique que les Boliviens ont convenu de développer sur plus de 70 % de leurs chaussées.

« On avance, on avance, on avance, c’est une évidence, on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens, on avance. » Merci, Alain Souchon.

On avance jusqu’à l’Arbol de Piedra - Arbre de pierre - puis on pose, puis on avance.

Pour finir la journée nous avons le plaisir de nous enfoncer dans un sable limpide puis de s’offrir une balade pastorale à travers de sublimes récifs aussi affectueux que des piranhas enveloppés dans du sang. Cela entraîne une légère nervosité qui conduit à casser les deux vis soutenant la base du porte-bagage arrière. Bien sûr, celles-ci cèdent dans le pas de vis. Impossible donc, de réparer sur place. Impossible d’avancer avec les sacoches arrière qui bloquent le pneu.

Restons calme. Reste 5 km. Prenons les sacoches sur le dos et avançons à pied. Je prends la sangle de la première sacoche à pleine main pour la mettre en bandoulière. Elle pète. Restons calme, restons calme. Je prends la sangle de la seconde sacoche avec la même intention. Elle pète. Et je pète un plomb.

Cri atomique, transformation en Super Saiyan, G Pression, Kamehamea, Triple Ki Blast, destruction de la planète, prise de conscience du pétage de plomb, acceptation de la réalité, retour à un comportement raisonnable et polissé.

Claire s’empresse d’abattre les dernières bornes de cette interminable journée pour aller chercher de l’aide au refuge. Il fait nuit. Le washboard ne disparaît pas dans le noir, il reste un redoutable ralentisseur. Un peu plus tard, un 4x4 remonte la piste à la vitesse de la lumière, il s’arrête, Claire en sort, le chauffeur jette Bombers sur le toit, la journée se termine.

Lorsque l’on arrive au refuge, un groupe de touristes s’encanaillent joyeusement. Nous sommes épuisés, et tristes. Demain, il va falloir tenter de réparer la bécane. On perd un deuxième jour sur notre programme. Il faut revoir la copie car nous ne pourrons pas être le 2 août au Chili pour le rendez-vous de Claire. Solution : décaler le rendez-vous. Problème : nous sommes dans un désert, aucun réseau. Solution : téléphone satellite. Problème : il n’y en a pas. On verra demain.

On se couche les yeux grands ouverts, la vie irradiant tous les tissus du corps, la fatigue partout et le sommeil impossible, on vibre, on vacille, on oscille à l’intérieur de cette putain d’intensité où, sans réserve et sans jeu, le spectre des émotions - négatives et positives - est chaque jour parcouru. Le voyage, le vrai.

Et puis, cette phrase de Beckett extraite de Mercier et Camier, que l’on ne comprenait pas, et qui, ici, juste ici, fait sens : « Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache ; nous sommes cons, mais pas à ce point. »

Jour 8 – samedi 30 juillet – Laguna Colorada // Salar de Chalviri

Réveil difficile, le refuge est vide, les 4x4 ont emporté le groupe de touristes à 5 h du matin. Nous mangeons les restes de leur petit déjeuner. Thé, café, pancake, confiture de lait, de pêche, de fraise, traverser le Sud Lipez, c’est du luxe. On sympathise avec la gérante du lieu avant de se pencher sur la réparation du vélo.

Vers 12 h, on file au prochain refuge situé à seulement 10 km. Là-bas, il s'agira de trouver un moyen de rentrer en contact avec le monde pour décaler l’entretien de Claire.

Petite balade en douceur sur les berges de la laguna Colorada, les sacoches arrière tiennent, c’est tout bon. Dès notre arrivée, nous mandions un moyen d’envoyer un tout petit message en France. Impossible. Nous sommes piégés. Il nous reste quatre jours de vélo pour atteindre San Pedro de Atacama au Chili. L’audience est dans quatre jours… Nous n’avons aucun moyen de transmettre l’information « décaler le rendez-vous », ça s’appelle le désert.

La sentence tombe. On doit « lâcher » 40 km pour être dans les temps. Et débourser un gros billet à un Bolivien armé d’un 4x4. Il nous dépose à Chalviri. C’est dur. Après un mois à souffrir sur les pistes boliviennes, être obligé de sauter le moindre kilomètre nous apparaît comme un drame. Oui, nous avons perdu toute lucidité.

S’éloigner de tout, oublier la collectivité, regarder les reflets du soufre, traverser des paysages sans pli, et être rattrapé par un rendez-vous professionnel. Ironie.

Jour 9 - samedi 31 juillet – Salar de Chalviri // Laguna Verde

On se réveille tôt pour sauter dans les eaux thermales dès 7 h. Le soleil se lève, l’eau est à 39°C, l’air à -10°C, une Bolivienne se baisse pour faire sa lessive, photo.

On se rhabille tout chaud dans le froid. Une fois en selle, nous profitons d’une piste toute douce, voire lèche-cul, jusqu’au désert de Dali.

Tapis vierge sur lequel le temps a posé quelques variations. L’ocre en ouverture, passage ambré, et beige en destination. Un volcan voisin y jette des blocs sans réflexion. Tous les jours, le vent, courageux, vient donner vie au tableau - déplacer les couleurs, buriner les formes, travailler les détails. C'est vrai, Dali n'est pas loin.

Un peu plus loin, pause déj. Mais où est Claire ?

Enfin, la laguna Verde, à la parure jade et turquoise, belle et toxique. Le Licancabúr, à ses côtés, en sentinelle, dans son habit conique. Nous sommes aspergés.

Une dernière nuit à la fraîche, sans eau chaude, dans le vrombissement du groupe électrogène, on discute avec la famille bolivienne chargée de gérer le refuge pour quelques semaines. L’intendance de ces lieux d’accueil est tournante au vu des conditions de vie contraignantes.

Demain, après deux mois et demi à plus de 3000 m d’altitude, nous redescendrons dans la douceur. On savoure la fin de notre séjour en haute altitude depuis notre chambre chauffée à 2°C.

Jour 10 – 1er août – Laguna Verde // San Pedro de Atacama (Chili)

Les ultimes kilomètres restent exigeants, le passage de frontière est à 4700 m d’altitude, il faut avaler quelques montées pour atteindre le rêve, l’asphalte.

Mixer, mettre dans un cornet, glacer l’ensemble puis lécher goulûment. Un sorbet à l’asphalte, s’il vous plaît, c’est si bon. Tout va bien, merci.

Le rêve continue, nous plongeons dans 45 km de descente, au fond, le désert d’Atacama vers lequel nous glissons à 50km/h, l’air s’adoucit, une oasis se dessine, c'est San Pedro de Atacama. À destination, tout est nouveau, simple, confortable, l’impression d’avoir pris un avion. Nous rejoignons nos amis Marie et Aurel, comblés.

Pour info, le fameux rendez-vous pro a été concluant. Ouf ;-)

Voici le lien de la page Facebook d’Alicia et Marie :

On vous embrasse, à bientôt !


 
 
 
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