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Copacabana // Uyuni - Bolivie

  • Les socquettes légères
  • 14 août 2016
  • 8 min de lecture

Cette tête baroque enguirlandée de grappes de raisin est le symbole de Potosí en Bolivie. Pommettes volumineuses, front rétréci, yeux en amande, nez droit, cheveux épais et noirs, pas de doute, la mascotte représente un indigène. Mais le sourire ironique pourrait bien être une raillerie envers les conquistadors espagnols et leurs spécialités de l'époque : massacre, exploitation et pillage. Depuis 1545, date de la découverte de la plus grande mine d'argent au monde sous la montagne voisine du Cerro Rico, le métal précieux a abreuvé durant trois siècles les caisses de la couronne d'Espagne et plus largement de l'Europe. Le travail forcé connut ses heures de gloire. Un rire de résistance donc ? "Mieux vaut en rire que de s'en foutre" aurait noté notre maître à penser Didier Super.

Non, Copacabana ne renvoie pas uniquement à la plage de Rio de Janeiro et ses Cariocas. En Bolivie, c'est une petite ville touristique installée sur les rives du lac Titicaca d'où l'on peut vénérer des couchers de soleil plutôt pas dégueus. De là, nous avons embarqué pour la belle isla del Sol baignée dans un bleu "ouf" de Klein, où le saule "crevassé "de Humboldt vient habiller le tableau trop "chill" façon Monet. Les sommets enneigés de la cordillère Royale sont juchés à droite de cette photo. Magnifiques. Avec une photo panoramique genre Yann Arthus-Bertrand on les verrait, mais on n'aime pas trop les panoramiques, du coup, on ne les voit pas.

Nous avons parcouru les crêtes de l'île au milieu de l'échiquier des cultures en terrasse, cerné, au loin, par les roselières, "ça envoyait grave du fat".

Nous avons ensuite bifurqué vers La Paz où nous avons décidé de manger tout sauf bolivien. Pari remporté. Fondue suisse, côte de boeuf à la française, burrito mexicain, pizza italienne et la satisfaction d'éviter la culture culinaire d'un pays. En représailles, lors de notre départ de la capitale bolivienne, les dieux de la voirie ont dressé devant nous des pentes aux pourcentages insensés. Ce jour-là, nous avons soldé 10 km pour atteindre El Alto, la définition précise de l'adjectif "atroce" était tracée sur la route.

La suite, ce sont 300 km et 5 jours de route vers l'ouest où le parc national de Sajama nous attend.

Des bêtes aux mâchoires désarticulées n'hésitent pas à nous faire obstacle.

Cette expédition vers l'ouest ouvre un mois inconfortable. Ciao les douches chaudes, l'idée d'enlever son pantalon pour dormir est démente, les villages traversés sont aussi vides que nos sacoches sont saturées, le vent commence à défriser les lamas, l'Internet mondial est un concept charmant mais lointain, l'alcool à brûler du réchaud coule à flots, le quart de finale France-Islande devait être sympa mais pas de tv ni dans le bled ni dans la mairie où nous dormons. Et puis, d'un coup, le "Sajama", le plus haut sommet de Bolivie apparaît avec ses 6542 m. Et puis, la blague pourrie, "le grimper, sajamais !" - il faut faire une pause.

On restera trois jours dans le parc national à contempler l'épaisseur brune du sable volcanique éclaircie par les herbes séchées aux quatre vents et la queñua, l'arbre le plus haut au monde, d'aspect noueux et résistant mais en souffrance sous sa croûte rouge morcelée. Un joli petit théâtre naturel quoi.

Ici-bas, notre arrivée dans le parc où nous laissons nos premières traces sur les pistes boliviennes. Le début d'une longue histoire.

Une balade champêtre, rieuse, et là, tout d'un coup, l'envie de faire caca en geyser inversé. Résultat : un cactus monstrueux - complètement glucose.

Le jour d'après. Nous profitons d'un bain chaud sous un ciel neigeux. Deux heures plus tard, de retour au village, une famille bolivienne nous accueille chez elle avec un bon repas chaud devant la demi-finale France-Allemagne. Ambiance de folie autour du lama grillé.

On en parle, on en parle et le voici : le Sajama !! "Le grimper, sajamais" ; ceci un running gag raté.

Claire profite de cet interlude pour se jeter un Banga "allez hop, on y va, en route pour l'aventure." Clin d'oeil aux années 1980.

Pour la Bolivie, nous avons choisi le pire menu. Le triple XXL maxi best of over the top ripio. Qu'est-ce que le ripio ? Une spécialité toute bolivienne qui consiste à savoir élaborer des pistes avec du sable fin, de la caillasse tranchante, des saillies de pierres criminelles, des saloperies de bosses, des ordures d'ornières, des pourritures de bas-côtés qui s'effondrent, on se calme, on se calme, gardons notre sang-froid. Le ripio va nous proposer une bonne partie de rigolade du village de Sajama jusqu'au Chili. Ce qui représente environ 830 km de trek. Pourquoi s'infliger ça ? Aucune réponse valable.

Pas une journée n'a été facile depuis notre entrée sur la piste le 9 juillet. Ne tergiversons pas, racontons la pire de toute. Ça n'a pas attendu, c'était le 10 juillet, jour de la finale de l'Euro.

Départ de Chachacomani à 8 h du mat', le programme de 50 km est prétentieux au vu de l'état du sentier, on veut arriver vers 15 h pour voir les Bleus.

On engage nos roues sur le chaos, loin de tout - nous ne croiserons aucun véhicule -, la vitesse optimale est de 7-8 km/h, souvent, il faut descendre à 4-5 km/h pour éviter de trop martyriser notre dos et le vélo. Nous manoeuvrons constamment à la recherche d'un sillon plus serein, entre les bosses, les affleurements, les sols mouvants, etc. Rien d'étonnant pour le moment, nous savons que ces petits plaisirs font partie du jeu et sont renouvelés chaque jour passé sur ce bon vieux ripio.

Vers 10 h, une petite rivière vient barrer notre chemin. Après quelques minutes de recherche, nous parvenons à traverser les pieds au sec. On reprend cette chose que l'on nomme "piste". Deux heures plus tard, on avale nos sandwichs au picadillo de carne avec l'idée de prendre un raccourci et de sprinter jusqu'au village où, à n'en pas douter, l'on trouvera une fan zone en fusion sur la place centrale.

Le chemin est très sablonneux, les roues s'enfoncent, on pousse les grosses bécanes, les pieds patinent, les bras subissent, le souffle s'embrase.

La patience paye. La blancheur du gravier surgit, le sol retrouve de la consistance. Nous remontons sur nos machines mais la pesanteur ne nous lâche pas, la progression est molle jusqu'à la vision d'horreur. Une rivière gît-là, ayant l'apparence d'un flux infranchissable. "Putain de merde".

À bas les socquettes, les chaussures et le futal ! Le projet : traverser ce merdier coulant en soulevant légèrement les vélos chargés, les pinceaux dans l'eau glaciale. On s'engage, Claire devant l'engin, moi, derrière, nous posons nos pieds dans la flotte, le froid infâme remonte dans les cuisses. Le courant et la caillasse viennent gâcher notre démarche mondaine. Une délicieuse impression d'avoir les os glacés nous traversent. Il faut conserver les sacoches au-dessus de l'eau, les bras s'y attellent, on y est, on y est, on y est vraiment !! Et une traversée.

Mais il y a deux vélos. L'autre est là-bas. De l'autre côté du merdier coulant.

Retraverse. Recommence. Remercie la vie.

La traversée effectuée, nous nous rhabillons dans la bonne humeur en dansant la Lambada - d'origine bolivienne qu'on se le dise -, tout heureux d'en avoir fini.

On prend même une photo pour pouvoir se la péter en société : "ouais t'as vu, là je me suis désapé même pas peur, et j'ai porté mon biclou à bout de bras, tranquille, alors que la rivière était au moins aussi large que la Seine. Easy quoi".

On regrimpe sur nos engins de torture, ça n'avance pratiquement pas, nous faisons 500 m, et là, le cauchemar commence. Ce raccourci tout pourri se transforme en rivière. Impossible de l'emprunter. Keep calm, prenons la tangente, à travers la pampa. Pas possible, il y a des épineux partout, à perte de vue, jetés sur terre par le démon de la bicyclette. Essayons de rouler juste à côté du ruisseau. Nope, dès les trois premiers mètres, nous sommes bloqués par une boue ultra-collante se trouvant précisément à deux endroits dans l'univers : ici et sur une exoplanète hostile nommée "Saleté-174a". On tente tout de même de pousser, les pneus disparaissent sous une couche énorme de bouillasse, les câbles sont bloqués, les freins hors d'usage, plus rien ne fonctionne.

L'épuisement physique et psychologique guette, il faut trouver une solution, impossible de planter la tente dans cette végétation dense. À l'horizon, nous ne voyons aucune amélioration, il faut pourtant pousser, le soleil commence à décliner, le froid va prendre le relai, il fait nuit noire dans nos esprits. On crie, fort, très fort, on gueule sur ce maudit pays, sur cette horreur de "piste", on crache notre désespoir. "Mais qu'est-ce qu'on fout là ? Pourquoi on se fait mal comme ça ? C'est un cauchemar." Nous n'avançons pas, ou si peu. "C'est un cauchemar, c'est un cauchemar, c'est un cauchemar" résonnent et collent à la conscience comme cette boue intergalactique. L'inquiétude recouvre tout. L'eau, la boue, les épines.

Une heure et demie de dégoût et de crainte avant d'apercevoir une piste caillouteuse où l'on pourra rouler, l'espoir revient, discrètement. Mais il sera tangible après le franchissement d'un dernier petit canal. Épuisés, nous mangeons quelques sucreries avant le passage. Malheureusement, Claire chute dans l'eau. Elle est trempée. Le vent d'ouest, invariablement chiant et puissant, vient la glacer dans la foulée. Elle craque et laisse éclater une colère titanesque. Se changer, continuer, encore 17 km, une éternité. Il est 16 h 00, à cette heure, la deuxième mi-temps de la finale est sur le point de commencer. Ça n'a plus vraiment d'importance.

Lessivés, après 10 h 30 de vélo, nous atteignons Julo dans les dernières lueurs du jour. Comme attendu, le village est complètement vide, d'une tristesse infinie. Mais pour nous, c'est une victoire, nous y sommes, on le trouve donc pas si mal. Il faut trouver quatre murs et un toit pour se protéger du froid. Du pain aussi, pour les futurs repas. Nous rencontrons Francisca, une chuleta tout sourire, rentrant ses lamas dans un enclos. Elle nous invite à dormir chez elle. Il y a même une chambre pour nous avec un lit et une table. Même qu'elle nous prépare un dîner. Riz, carottes, oignons, viande de lama, on se régale. Le cauchemar est terminé. Quel plaisir réconfortant de rencontrer des humains comme ça. 20 h 30 dodo.

Cette journée a fécondé un aphorisme aussi puissant que ceux de Lao Tseu : "Il faut se méfier des raccourcis." Pas mal, hein ? ...

Le lendemain, à la suite d'une journée éprouvante mais "normale", nous trouvons refuge chez des évangélistes. Ils essayent de nous convertir mais on ne se laisse pas faire. Les jours laborieux passent, les paysages splendides restent. La veille d'atteindre le salar de Coïpasa, nous rencontrons et dormons chez Doña Petronila et Adela. De nouveau, une très belle rencontre, un accueil super généreux. Là encore, nous avons la chance de profiter d'un dîner réparateur. Délicieuse soupe de quinoa suivie de riz, légumes et lama bien cuit. Moustache gracias.

Elle nous donne rendez-vous au petit matin pour nous indiquer la bonne piste à emprunter pour traverser le salar, et ce, à vélo, s'il vous plaît ! Outre le plaisir de faire quelques kilomètres en sa compagnie, ses conseils précieux nous permettent de passer une journée magique sur un désert de sel "plus blanc que blanc".

Comme le veut la tradition, nous avons fait joujou avec les perspectives.

Une idée de la légèreté.

Nous avons poursuivi avec une journée hardcore où nous avions parfois l'impression de faire du vélo dans les dunes de Wissant. Bonjour l'ambiance. Le soir, la récompense. Un mec te propose de boire de l'eau croupie puis t'indique que tu peux dormir dans l'ancienne poste complètement éventrée, sans fenêtre.

"Peut-on avoir du carton pour barricader le tout ?

- Oui, voici."

25 x 40 cm. Les dimensions DU carton. Foutage de gueule intégral.

Finalement on campe, et nous passons une belle soirée.

Pour terminer, nous avons traversé le salar d'Uyuni d'ouest en est comme des Formule 1. Oui, on roule très bien sur un désert de sel à condition qu'il ne soit pas "spongieux". Notons l'utilisation excessive du terme "spongieux" en trois jours. Une bonne centaine de fois. C'est dire à quel point l'expérience des salars était unique. Qui peut se targuer d'utiliser 100 fois le mot "spongieux" en trois jours ?

Enfin, avant d'attaquer le majestueux Sud-Lipez, nous avons pris quelques jours de pause à Potosí où l'on s'est gavé de salteñas (empanadas), de papas rellenas (pommes de terre fourrées), de salades de fruits, de jus de quinoa, arriba, arriba !

À vite pour la suite.

On vous embrasse !


 
 
 
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